Derniers résultats sur les fortifications de Shabwa

Shabwa une ville riche ouverte sur l’extérieur qui protège ses habitants et ses activités.

Décrite par les auteurs classiques comme la tête de pont du commerce de l’encens, Sabota ou Sabbatha, l’actuelle ville de Shabwa, est dotée par ses habitants d’un ensemble complexe de fortifications. Elle est aujourd’hui en totalité abandonnée par ses habitants qui se sont installés à quelques distances. Le site est recouvert par trois petits villages tribaux partiellement en ruine : Mathnâ, Mi’wan et al-Hagar. L’étude du rempart entamée dès 1977, continuée en 1980 et 1981 puis reprise en 1998, 2000 et 2002 n’a cependant porté majoritairement que sur des prospections de surface et des dégagements sommaires. Si deux chantiers ont été ouverts (le secteur occidental- Ch VI et la porte sud- Ch I), il faut cependant regretter l’absence de fouilles extensives pour l’étude de son urbanisme et plus particulièrement celle de ses systèmes défensifs.

 

La situation géographique de Shabwa n’a eu de cesse de surprendre les chercheurs. Eloignée de la vallée éponyme, la capitale du royaume antique de l’Hadhramawt est située de surcroît au débouché d’une vallée où les crues sont rares (Fig. 1). Pourtant il est raisonnable de penser que la richesse de cette cité est due autant à ses ressources agricoles - la ville est entourée de toutes parts par une zone irriguée de près de 2000 hectares en cumulé - qu’à son rôle de plate-forme, à la frange du désert, pour différents échanges commerciaux (Breton 1998 : 99).

 

La ville s’est principalement développée au centre d’un vaste triangle de collines soulevées par un dôme de sel gemme qui partage le cours du wâdî Irma en deux branches, le wâdî Ma’shar à l’ouest et le wâdî ‘Atf à l’est. Elle n’a jamais occupé l’ensemble de la dépression dont l’altitude oscille autour de 700m et où affleurent plusieurs mines de sel (Fig. 2). Les constructions, dont le nombre peut être estimé à près de 200 à l’apogée de la cité, ont, depuis les premiers temps de la ville, été installées contre le versant nord de l’éperon d’al-‘Aqab (Fig. 3). La ville a aussi dépassé la crête des collines de Qârat al- Ghirân et Qârat al-Burayk en venant coloniser son versant oriental avec des quartiers extra-muros dont les bâtiments, construits en terre, sont principalement destinés à des activités artisanales (Ch XIII et Ch XIV). Rapidement l’agglomération chercha à se doter d’un système défensif urbain qui alla en se complexifiant au fil des siècles (Darles 2003 : 215-227). La partie la plus densément occupée est entourée d’un ample rempart percé de cinq portes puis les collines sont couronnées par une nouvelle ligne de fortifications réalisée en deux temps (Breton 1992b : 59-75).

 

Les différentes enceintes sont percées par dix passages qui mettent en relation, d’une part, les différentes parties entre elles et, d’autre part, la ville avec son territoire périurbain d’où partent les pistes permettant de rejoindre les autres contrées de la région (Breton 1994 : 128-130). Les portes n°1 et n°6 s’ouvrent autant vers des terrains agricoles que vers les routes qui mènent au port de Qana ou vers Timna’ en Qataban. Elles donnent également vers le Ghusm al-Ghalib où de nombreuses carrières ont été identifiées. Ces deux portes ouvrent aussi en direction du piton rocheux d’al-‘Uqla, lieu sacré où furent investis de nombreux  rois du Hadhramawt.. Les portes n°7 et n°8 sont orientées en direction du désert qui sépare Shabwa de Marîb et du Jawf ; elles permettent d’atteindre un quartier artisanal, les grands domaines irrigués du nord de la ville et les lieux de pâturage qui bordent le wâdî Ma’shar et le wâdî ‘Atf. Par ces deux portes on peut également rallier les carrières du piémont occidental du Jawl et, en le longeant, atteindre la vallée du wâdî Hadhramawt. La porte n°9, entre les collines de Qârat al- Ghirân et de Qarat al-Burayk, donne vers la passe d’ ‘Uqayba qui permet aux caravanes de rejoindre la vallée du wâdî Hadhramawt en traversant le plateau tabulaire du Jawl  (Pirenne 1990 : 51-54). Cette porte permet également de rejoindre les quartiers extra- muros de l’est de Shabwa et dessert une nécropole hors les murs et différentes zones de pâturages. La porte n°10 s’ouvre vers l’amont du wâdî Ma’shar et donne accès aux territoires irrigués et aux grands aménagements hydrauliques de captage des eaux de la crue. Il s’agit d’un accès direct à l’oasis, planté de jujubiers, d’acacias et de palmiers. Enfin la porte n°5, mal connue, située à proximité d’un lieu d’extraction de blocs de grès, met en relation la ville avec les différents puits au sud de la colline d’al-‘Aqab d’une part et les zones irriguées du sud-ouest d’autre part.

 

Hypothèses sur le développement urbain et la chronologie des fortifications

La relative pauvreté des données chronologiques nous amène à proposer un schéma de développement hypothétique de la ville de Shabwa avant tout fondé sur les interprétations des données recueillies sur le terrain ainsi que sur des approches comparatives avec les autres villes des basses terres (Fig. 4).

 

  Deux sondages stratigraphiques ont été réalisés. Le premier, de 1976 à 1981, a atteint le substrat géologique, il a été publié par Leila Badre (Badre 1992 : 229-314), le deuxième en 2000 et 2002 n’est pas terminé à ce jour. Il a permis de reconnaître une séquence stratigraphique de 8,20 m de dépôts archéologiques entre la cote 706,40 m et la cote 714, 60 m du sol actuel ; il doit faire l’objet d’une prochaine publication  (Breton, Darles et Roux 2007). Les résultats sont concordants. Les premières occupations apparaissent sur le terrain plat de la dépression centrale, contre le flanc nord de l’arête d’al-‘Aqab, durant la première moitié du IIe millénaire av. J.-C. et vont donner naissance au premier noyau urbain. A cet emplacement, au sommet du tell, à une altitude de 715 m, sous le village actuel de Mathnâ et dans ses environs immédiats, l’épaisseur des couches archéologiques dépasse les dix mètres.

 

Les premières séquences stratigraphiques du sondage le plus récent, mais malheureusement pas les plus anciennes1, sont datées du XIVe s. av. J.-C. Elles prouvent que les premières constructions - séquences 1 à 3 - sont uniquement réalisées en terre, soit en adobes (briques de terre crue) soit en bauge (terre massive). L’architecture de pierre ou composite, à ossature en bois, n’apparaît pas avant le IVe s. avant notre ère. Peut-on pour autant parler d’une ville en  terre sous la ville de pierre ? Ainsi l’aspect du paysage actuel de Shabwa, avec ses nombreux socles de pierre, qui intriguèrent tant les voyageurs, doit faire place, durant le I er millénaire av. J.-C., à l’image d’un village ordonné bâti d’édifices en terre.

 

Aux alentours du Xe s. av. J.-C., au changement de millénaire, un grand bâtiment est édifié au milieu de la dépression d’as-Sabkha, face aux premières constructions. Il est construit sur un puissant massif de briques crues (Breton 2001 : 38, Breton 2003 : 2002, Breton-Roux  2005 : 95-114, Darles 2007b). Un édifice monumental en pierre pourrait avoir été édifié au-dessus de ce massif de fondation. En témoigneraient plusieurs monolithes imposants réutilisés dans le palais. L’un d’eux (Darles 2005 : 151-171), situé sous l’accès monumental et doté de plusieurs feuillures, n’est pas sans rappeler les grands monolithes des temples du Jawf ou de Marîb.

 

Jaqueline Pirenne date la plus ancienne des inscriptions mentionnant l’édification d’une courtine, Sh VI/76/89, de type paléographique B, des environs du IVe s. av. J.-C (Pirenne 1990 : 59). La chronologie basse défendue par J. Pirenne est aujourd’hui controversée et contredite par de nombreuses découvertes. Cette inscription trouvée durant la fouille du rempart occidental pourrait être, à la lumière des progrès de l’épigraphie sud-arabe, datée du VII e s. av. J.-C. (Schiettecatte 2006 : 275) Ce rempart primitif, doté d’une ou de plusieurs portes2, entourait de manière lâche le noyau primitif de la future capitale. A cette époque apparaissent les premières inscriptions faisant part du rôle politique de Shabwa.

Une autre inscription trouvée dans le Shi’b al-Layl, au pied du Ghusm  al-Ghalib, à l’ouest de Shabwa, de style C, selon la chronologie paléographique établie par Jaqueline Pirenne, et datée par elle du IV e s. av. J.-C., pourrait également être plus ancienne d’un ou deux siècles. Le texte inscrit mentionne la construction du palais Shaba’an par ‘Alyafa’ Dubyan fils du roi ‘Amdahar. Doit-on penser que ce palais se substitue au grand édifice précédent ? Les preuves archéologiques sont réduites et la question trouvera peut-être un jour une réponse rationnelle.

 

Une datation C14  donne pour la construction du rempart, à l’emplacement de la porte n°6, le IV e s. av.  J.-C.3 Il pourrait s’agir d’une réfection de la fortification primitive du VIIe siècle qui englobe alors le palais et l’intègre au sein de la ville. En effet, la face nord de l’enceinte initiale est totalement transformée, peut-être en plusieurs temps, au moins à partir de la porte 2 jusqu’à la face orientale. Nous pensons que la première enceinte était préalablement dotée, sur cette face nord, d’un seul et unique franchissement, la porte n°3 (Fig. 5) ; ce serait à la suite de la modification du tracé que les portes n°2 et n°4 sont créées et la porte n°3 avancée et déplacée vers le nord. Le nombre de porte est fonction du développement du site (Fig. 4).

 

Ce rempart, long de 1 375 m, est réalisé et transformé en utilisant une maçonnerie monumentale en grand appareil liaisonné avec un mortier de qualité. Ce mode constructif a très bien pu préexister dans le rempart primitif que nous avons beaucoup de mal à distinguer de ses transformations ultérieures, qui ne cesseront pas jusqu’au  2 e s. de notre ère. Ce mode de construction se retrouve utilisé dans la citadelle, dont un angle est encore débout sur plus de six mètres de hauteur au sommet de la colline d’al-Hagar, à une altitude de 720 m. Même s’il est toujours difficile et délicat de tenter des approches chronologiques d’après des techniques de construction, nous proposons d’attribuer une même datation pour l’édification de ces deux ensembles disjoints. Cinq portes sont connues, trois sur la face nord-ouest (portes n°2, n°3 et n°4), une à la jonction de la pointe sud de l’éperon d’al-‘Aqab, Husn al-Ma’, et de la face sud-ouest (porte °1) 4 et une à l’angle est (porte n°5). Une première structuration de l’espace intra-muros est alors  en train de naître avec la structuration de la rue qui relie la porte n°3, au pied du palais, et le grand édifice considéré jusqu’à aujourd’hui encore comme le temple majeur dédié au dieu Say’in. Si l’on en croit une datation de son escalier oriental, le socle du palais pourrait également dater du IVe s. av. J.-C5.  Les niveaux les plus profonds du « Grand Temple » sont également datés du IV e – III e s . av. J.-C. (Breton 1998 : 95-152). Est-ce également à cette période qu’est édifié le temple extra-muros (Breton 1998 : 157-161) ?

 

  En l’absence de données archéologiques et chronologiques précises, il est difficile de dater la construction du rempart qui couronne le triangle de collines dominant la dépression où est construite l’agglomération initiale. Ce rempart constitué d’un glacis de galets et de courtines disposées en crémaillère, correspond plus à un enclos de protection qu’à un ouvrage de poliorcétique réellement défensif. Il mesure 2 160 m de long et comporte des tours et des bastions régulièrement espacés. A  l’emplacement des cols et des zones les plus sensibles il est également redoublé par des ouvrages avancés qui protègent quatre portes supplémentaires. Cette deuxième ligne de fortifications s’appuie d’une part contre le rempart existant (porte n° 6 de Dar el-Kafir) d’autre part il s’adosse à la citadelle en transformant de manière radicale le système défensif de la ville intra-muros (Fig. 6). La porte n° 1 donne-t-elle  alors toujours à l’extérieur de l’espace urbain, son rôle diminuant de par la présence de la porte n° 6 au pied de la tour de dar el-Kafir ? Les recherches archéologiques ont bien montré qu’à une certaine époque, ce passage fut condamné et muré. La date de cette réfection n’est pas connue. Les portes n° 2, 3 et 4 permettent de passer de la ville densément peuplée à la dépression d’as-Sabkha, non bâtie  et peut-être destinée à accueillir, caravanes, voyageurs et troupeaux. Une nouvelle importance est donnée aux portes de la deuxième enceinte (portes n° 6, 7, 8 et 9) qui vont servir de seuil entre la capitale et son territoire, en s’ouvrant vers les champs cultivés, vers les pâturages et vers les grandes pistes du trafic commercial. La présence du hameau actuel de Mathnâ, là où la puissance des couches archéologiques semble être maximale, n’a pas pu permettre la réalisation des sondages qui auraient donné des informations précises sur les différents emplacements de la porte n° 5, située à la rencontre de plusieurs lignes de fortification (Darles 2007a). Nos hypothèses de restitution de ce secteur se fondent uniquement sur les prospections de surface. Lire la suite

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