(...) Fortifications de Shabwa suite

À l’est de la porte n°4, quelques fragments de murs permettent une restitution assez précise du tracé de l’enceinte. Un grand nombre de blocs, aux dimensions similaires à celles des blocs des autres tronçons du rempart, constituent l’essentiel de l’élévation des courtines et des tours.

 

La porte n°5 n’est pas visible. La nécessité de raccorder la ville, des quartiers d’al-‘Aqab à ceux qui se situent sur la colline d’al-Hajar, semble impliquer l’existence  d’un passage situé non loin du raccordement de cette face orientale avec la colline d’al-‘Aqab. Quelques fragments de murailles ainsi qu’un retour significatif non loin de cette jonction tendraient à confirmer cette hypothèse.

Le secteur méridional de l’enceinte intérieure suit la crête de l’éperon d’al-‘Aqab. Dans sa partie orientale, les couches de grès redressées disparaissent sous les ruines du village de Mathnâ. A l’ouest plusieurs fragments de murs sont conservés sur une longueur totale de 50m ; leurs assises en grand appareil de calcaire blanc de 1,10 sur 0,55 m reposent directement sur le substrat de grès aménagé. Un large emploi du mortier rose atteste une contemporanéité de ces vestiges avec les autres secteurs de l’enceinte.

 

Le rempart intérieur présente, en dépit de phases successives de construction, une grande unité technique. Sur une fondation de plusieurs assises de blocs polyédriques en calcaire a été installé un soubassement de trois assises,  en moyenne, de blocs de grès bruts de carrière. Au-dessus, le rempart est monté en grand appareil de calcaire dont les carreaux comportent parfois des ciselures périmètriques grossières. L’ensemble est abondamment liaisonné avec du mortier rose. L’alternance de tours et de courtines est régulière, la longueur de ces dernières étant sensiblement supérieure (8 à 9 m) à celle des saillants (5 à 6m).

 

Aucune porte n’offre un dispositif similaire, ce qui semblerait impliquer des étapes successives de construction. Seule la grande porte nord n°3 semble comporter des aménagements  dyssimétriques, d’un type similaire à ceux qui munissent les portes occidentales  de Mâ’rib et de Ma’în.

 

Si ses vestiges peuvent êtres analysés  du point de vue architectural et constructif, il est cependant difficile de proposer une date pour la fondation de cette muraille. Aucune inscription n’ayant été retrouvée en place et aucun sondage n’ayant été encore effectué, nous ne pouvons que reprendre les dates proposées par J. Pirenne et reprises par J.-F. Breton (des réfections réalisées au 4e s. av. J.-C). Même si l’essentiel de l’état visible de ce rempart semble tardif, il n’est toutefois pas impossible de supposer que sa construction initiale puisse remonter aux 8e ou 7e s. av. J.-C.

 

Les remparts extérieurs 

 

Implantation des deux enceintes :

Une deuxième fortification complète le système défensif de Shabwa. Les crêtes entourant le site sur plus de 3 500 m sont surmontées par un rempart qui constitue une ligne continue de défense. Ce système défensif extérieur comporte deux murailles distinctes et possède plusieurs dispositifs spécifiques.

Une première enceinte de 2 160 m suit toutes les arêtes des deux collines qui se rejoignent au nord de la dépression d’al Sabkha en un lieu occupé sans nul doute par plusieurs ouvrages militaires. À cet emplacement deux portes s’ouvraient vers le nord, tant vers le Jawf que vers la vallée du Hadhramawt. La deuxième enceinte, méridionale, longue de 685 m, entoure un grand bâtiment appelé « citadelle » et s’ouvre en direction du sud vers le wâdî ‘Atf/Irmâ.

Ces deux remparts, protégeant très peu d’édifices, servent principalement à la protection de la cité intra-muros. Le premier d’entre eux entoure un immense espace libre, de plus de douze hectares, délimité par le pied des collines de Qarât al-Hadidâ, à l’ouest, constituée de couches de galets redressées et, à l’est, de Qarât al-Ghirân et Qarât al-Burayk composées majoritairement de gypses et de schistes bitumineux.

 

Face à la grande porte (n°3), sur les flancs de Qarât al-Hadidâ s’élève un petit temple extra-muros, alors que la nécropole occupe les pentes des collines orientales. La deuxième enceinte extérieure entoure un espace escarpé, occupé de nos jours par le village d’al-Hajar. Les seuls vestiges visibles sont ceux de l’importante « citadelle » située au point culminant de la ville.

 

Description de l’enceinte nord

 

Cette enceinte se caractérise par l’aménagement des crêtes recouvertes de galets. Une série de murs de 15 à 20 m de long, disposés en crémaillère avec des décrochements de 2,00 m environ, a été implantée au sommet des collines en suivant scrupuleusement les changements d’orientation naturels. Ces murs de 0,80 m de large construits en galets liaisonnés avec du mortier rose sont précédés, sur leur face extérieure, d’un glacis de 2,00 à 2,50 m de large, monté en galets posés à sec suivant une inclinaison de 45 degrés qui rattrape le sol naturel. Sur le côté intérieur, un aménagement du sommet permet le passage d’un chemin de ronde et l’implantation de petits bastions de 5,00 m sur 8,00 environ disposés aux points stratégiques.

 

Si la porte n°6, située entre la tour de Dar el-Kafir et la retombée méridionale de cette enceinte n’est pas connue, un mur reliant le rempart qui disparaît sous le hameau de Mi’wân a été toutefois identifié. La reconstitution du mode de fermeture de cette porte est malaisée. Toutefois la présence d’une série de mortaises, sur l’angle intérieur de la tour de Dar al-Kâfir, pourrait appartenir à un système de fermeture du passage.

 

Les portes 7 et 8 peuvent être plus aisément restituées. Elles sont disposées à l’emplacement de deux cols distants de 170 m. D’importants vestiges et dépôts archéologiques attestent que cet emplacement a été aménagé intensivement pour des édifices à vocation, probablement militaire. Les murs en galets sont ici doublés par un rempart à saillants bâti en blocs polyédriques hourdés au mortier rose. La remontée vers le sud des collines orientales comporte un rempart identique sur plus de 100 m avec des murs à crémaillère, faits de blocs polyédriques, précédés au nord d’une ligne de saillants[ii]. Le rempart en galet avec son glacis de protection se poursuit vers la porte n°9 au col d’al-Khalif à 708 m d’altitude,. L’aménagement de cette porte large de 5,00 m environ a nécessité la mise en œuvre d’ouvrages maçonnés importants. Ouverte vers les hauts plateaux du Jawl et la passe d’Aqayba, cette porte ne doit pas être considérée comme secondaire. Ses parois de 2,00 m de large et de plus de 2,50 m de haut sont en effet adossées à un massif imposant de brique crue qui renforce l’effet de masse de l’édifice.

Plus au sud, au passage des thalwegs, les parois en galets de la fortification sont remplacées par des murs de blocs polyédriques, et également renforcées par un rempart avancé à saillants. Si la crête d’al-Burayk est recouverte par les ruines de bâtiments récents, on peut toutefois y suivre le tracé d’un rempart en galets sans pouvoir confirmer la présence de glacis et de bastions.

 

Description de l’enceinte méridionale

 

Ce rempart comporte les vestiges en élévation les mieux préservés de la muraille extérieure. Les édifices modernes du village d’al-Hajar ont recouvert depuis des siècles les murs antiques, conservés sur plus de 6,00 m, en s’en servant comme soubassement. Partout, cette enceinte se compose d’un mur adossé à un massif de briques crues. Nous ne connaissons de son périmètre que sa face orientale comprise entre la « citadelle » et la porte sud sur une distance de 285 m. La face occidentale a disparu suite à l’érosion liée aux crues du wâdî Mashar, branche occidentale du wâdî ‘Atf. La face méridionale, longue d’est en ouest de 85 m, est percée en son centre par la porte n°10.

 

La « citadelle » est antérieure à l’implantation du rempart adjacent qui lui-même a été réalisé en deux temps. Elle repose sur des fondations en gros blocs polyédriques de 0,50 par 0,30 m posés sur un massif de brique crue. Ces fondations sont surmontées par un soubassement en grès de tout venant, haut de plus de 2,00 m dans l’angle nord. L’élévation en moyen appareil compte des assises hautes de 0,40 m et des carreaux longs de 0,80 à 1,00 m. L’angle visible possède un chaînage d’angle à double boutisse. Les parements à ciselures périmétriques, sont grossièrement pointés avec un ciseau à bout rond. A l’intérieur de l’enceinte, à une distance de 8,00 m environ la « citadelle » est visible sur deux de ses côtés, sa face nord sur 5,00 m et sa face orientale sur 45,00 m. Il s’agit d’un mur présentant régulièrement des saillants de 5, 00 m de long et de 0,60 à 0,70 m d’avancée. Seules les fondations sont visibles au-dessus  du massif en brique crue.

 

L’enceinte méridionale

 

Le secteur le mieux conservé de cette enceinte se trouve au nord de la colline d’al-Hajar, là deux pans de murs, atteignant 6 m de haut, encadrent l’angle antérieur de la citadelle, à l’est et à l’ouest. Ces murs à double parement larges de 0,80 m s’appuient contre un massif de brique crue épais de 5,00 m. L’élévation est disposée sur un soubassement de deux assises sous lequel les fondations en blocs polyédriques sont mélangées avec du tout venant et quelques remplois. La face intérieure de ces murs est composée de blocs prismatiques démaigris en queue, et la face extérieure  de blocs de moyen appareil longs de 0,35 à 0,95 m et hauts de 0,20 à 0,25 m. Des rangées verticales de boutisses alternées suivant les assises caractérisent cette muraille que l’on peut comparer avec celles d’édifices civils comme le bâtiment 73 par exemple.

 

La muraille orientale de cette deuxième enceinte, fondée sur un massif de briques crues, comporte un ensemble de sections disposées en baïonnettes avec des décrochements  de 0,80 à 1,50 m. Cette paroi est constituée d’un simple parement en moyen appareil de 0,40 à 0,50 m de long sur 0,17 à 0,22 m de haut liaisonné avec du mortier rose et directement appuyé contre un massif en brique crue de 4,00 à 5,00 m de large. Plus au sud, un important bastion de 25 m par 10 m est disposé en saillie contre ce rempart.

 

La porte sud de la ville, large de 3,00 m seulement, se présente comme un simple passage que ne défend aucune tour. Dans une première phase, ses murs sont montés en grand appareil (longs de 0,85 à 1,35 m et hauts de 0,46 à 0,57 m) sans commune mesure toutefois avec celui de la tour de Dar al-Kafir. La porte comporte des fondations hétérogènes de blocs alternés de grès et de calcaire, liaisonnés au mortier rose, qui font office d’assises de réglage au-dessus  des briques crues. Les tableaux de cette porte mesurent 4,00 m et bloquent le massif de terre. Dans une phase postérieure, les parois adjacentes  à la porte sont réalisées en moyen appareil. Ces parois, larges de 1,00 m, comportent un double parement comme celles du rempart près de la citadelle.

 

Conclusion 

 

L’étude comparative des techniques de construction, des différents modules de blocs mis en œuvre ainsi que des principes de composition des dispositifs architecturaux permet désormais de proposer une chronologie relative de l’édification de ces trois enceintes.

 

L’usage du mortier est généralisé à l’ensemble des fortifications de Shabwa, même dans ses parties les plus anciennes. Le mortier de chaux d’excellente tenue comporte beaucoup de fragments de terre cuite pilée qui lui donne sa coloration. Le gâchage parfois insuffisant a laissé en son sein de nombreux nodules de chaux ainsi que de nombreux gravillons de dimensions variables.

L’enceinte intérieure, construite dans un premier temps en très grand appareil, témoigne d’un projet architectural cohérent. La partie la plus ancienne semble être la tour de Dar al-Kafir dont témoigne son appareil grossier et imposant. Le changement d’implantation du rempart du secteur nord est sans nul doute la transformation la plus importante. La réfection la plus visible concerne la porte n°1 et son environnement immédiat.

 

Le rempart extérieur au sommet des crêtes conforte, dans un second temps, le réseau défensif. L’utilisation généralisée des blocs polyédriques pour la construction des bastions et le renforcement des courtines est à rapprocher de leur emploi tardif dans de nombreux édifices de la ville intra-muros[i]. La « citadelle », le monument le plus ancien de la colline d’al-Hajar, pourrait être contemporain de la tour de Dar al-Kafir. Elle est, de fait, construite avant l’enceinte extérieure méridionale qui semble, elle, être la partie la plus récente des fortifications de Shabwa.

 

Un principe unitaire permet d’adapter aux contraintes du site les différentes murailles dont l’édification doit accepter les contraintes de financement de ce vaste programme dont le déroulement se poursuit sur plusieurs siècles. Comme pour tout chantier lent et onéreux, des changements de programme ont perturbé le projet initial en le transformant. L’évolution des principes constructifs autant que les diversités d’approvisionnement des matériaux a dû aussi contribuer à modifier notablement les principes d’origine.

 

L’originalité de la défense de Shabwa réside dans la présence d’un double système. Dans un premier temps, un rempart géométrique entoure la ville en en constituant les limites précises. Puis, lors d’un programme d’agrandissement des défenses, une deuxième enceinte est construite qui ne remplit pas les mêmes fonctions. La muraille qui suit les crêtes ne protège plus seulement la ville mais surtout un vaste espace libre, celui d’al-Sabkha, où devaient être entreposés des marchandises. Elle ne peut en aucun cas résister à un siège mené par une armée de conquête[ii] .

 

Contrairement à d’autres grandes villes comme Hajar Kuhlân/Tamna’ ou Hinû az-Zurayr/ Haribat, Shabwa ne comporte pas un système défensif formé de la juxtaposition d’édifices. Faudrait-il alors en conclure que les fortifications de Shabwa seraient plus récentes que ce premier dispositif manifestement précoce, et que son type de muraille continue de pierre serait contemporain des réalisations  militaires sabéennes ? Seuls des sondages permettraient de valider ces hypothèses tout en fournissant des éléments chronologiques qui permettraient de situer la muraille de Shabwa dans la série des grandes fortifications urbaines de l’Arabie du Sud antique.



[i] Darles, Ch., Etude typologique de l’architecture civile intra-muros, dans Fouilles de Shabwa III, architecture et techniques de construction BAH 154, 1998, p. 3-26,

[ii] Palmyre possède également une double enceinte à fonctions différenciées, protection de la ville d’une part et protection des palmeraies et des caravanes d’autre part.

 

 

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