Les portes fortifiées de Shabwa (...) suite

La porte n°4

 

Elle met en relation les deux parties de la ville : la cité intra-muros et la grande dépression centrale d’as-Sabkah. Ses caractéristiques morphologiques la différencient de la porte n°2. Jamais fouillée, elle n’a été que simplement étudiée en fonction des vestiges visibles. Dissymétrique, elle est flanquée par deux bâtiments, à l’ouest et à l’est, qui permettent de contrôler le passage entre une zone externe peu occupée et le centre de la cité relativement dense à cet emplacement. Le passage ouvre sur un espace peu urbanisé d’où démarre un cheminement parallèle à la grande rue.

 

La porte n°4, située à l’emplacement d’un changement d’organisation du rempart, compte divers états. Initialement le franchissement de l’enceinte était contrôlé à l’est par une tour et à l’ouest par un bastion important, le bâtiment 93. Lors d’une deuxième phase, un nouveau bastion est alors implanté hors les murs du côté oriental. Sur le côté occidental, une paroi importante prolonge le bâtiment 93 vers le nord, et, après un angle accentué, se relie au long alignement de la muraille septentrionale la plus récente. Ce rempart montre une face extérieure en grand appareil (blocs de 1,50 m sur 0,60 m en moyenne) et une face intérieure en blocs de grès.

 

La porte n°5

 

Cette porte ou plutôt cet ensemble supposé de portes et de poternes est très mal connue car le village actuel de Mathnâ recouvre cette zone. La porte n°5 aurait pu, dans un premier temps, permettre, au sein de la ville fortifiée, la liaison entre la ville close et le lit du wâdî Mashar. Quelques fragments de murailles ainsi qu’un retour significatif non loin de cette jonction tendraient à confirmer cette hypothèse.

 

Dans un deuxième temps, une fois le quartier de la citadelle entouré de murailles, la nécessité de raccorder les quartiers intérieurs d’al-‘Aqab à ceux qui se situent sur la colline d’al-Hajar, semble impliquer l’existence d’un passage situé non loin du raccordement du deuxième rempart extérieur avec la colline d’al-‘Aqab. Alignée avec la porte n°1, cette nouvelle porte n°5 permettrait une communication le long de l’éperon défensif d’al-Aqab en passant devant le grand temple. Si nous considérons que la mise en œuvre d’un double rempart tend à renforcer prioritairement ce secteur, il n’est pas exclu qu’une porte complémentaire ait pu exister à la jonction entre le rempart extérieur et les fortifications de l’éperon.

 

La porte n°6, la tour d’angle de Dar-al-Kâfir à la jonction des remparts ouest et sud

Cette porte est aujourd’hui l’accès majeur au cœur du site pour tous les visiteurs arrivant du sud et de l’Est. Elle a pu avoir ce même rôle d’ouverture vers les royaumes voisins. Etait-elle la porte principale du complexe urbain ? Contrôlait-elle le départ des caravanes qui regagnaient l’Arabie Pétrée ?

 

Si la porte n°6, située entre la tour de Dar el-Kafir et la retombée méridionale de la première enceinte extérieure, n’est pas connue, un mur reliant le rempart qui disparaît sous le hameau de Mi’wân a été toutefois identifié. La reconstitution du mode de fermeture de cette porte est malaisée. Toutefois la présence d’une série de mortaises et d’emboitures, sur l’angle intérieur de la tour de Dar al-Kâfir, pourrait appartenir à un système de fermeture du passage.

 

C’est la seule tour conservée sur quelques mètres de hauteur dans la partie la plus ancienne du rempart au lieu-dit Dar al-Kâfir. Elle est construite en grand appareil de calcaire blanchâtre caverneux, dur, très fossilifère mais bien résistant et assemblé avec du mortier de chaux. La provenance de ces pierres reste indéterminée dans l’état actuel de la recherche sur les carrières. Néanmoins d’après J-C. Bessac[1], il s’agit d’une origine vraisemblablement assez proche. Les blocs employés dans cette tour sont les plus volumineux de Shabwa ; leur longueur varie de 148 à 257 cm, leur hauteur se situe entre 62 et 103 cm et leur épaisseur mesure de 46 à 70 cm. Le plus grand de ces blocs atteint 1,9 m3 et pèse environ 4 tonnes. Dans les angles, il existe, comme dans beaucoup de constructions sudarabiques, des chaînes verticales de doubles boutisses très irrégulières. Un prélèvement de charbon dans le mortier de l’angle rentrant sud de la tour a permis une date oscillant entre 380 et 200 av. J.-C.

 

La porte n°7

 

Tout au nord de la crête de Qarat al-Hadidà, cette porte commande, avec sa voisine la porte n°8, l’accès à la capitale par la grande route du nord. A l’ouest du petit monticule, abondamment bâti et fortement défendu par un double système de fortifications, situé entre les hauteurs de Qarat al-Hadidà et les collines escarpées de Qarat al-Ghirân, elle ouvre sur la grande dépression d’as-Sabkha et ses mines de sel gemme. Sa largeur est de 6,50 m et elle est précédée, à une dizaine de mètres en avant, par un rempart régulier alternant des saillants et des courtines. Ce double système de défense se substitue au rempart à crémaillère en galet qui descend des pentes de Qarat al-Hadidà.

 

La porte n°8

 

Cette porte, mieux conservée et symétrique de la précédente, ouvre vers le grand désert du centre de l’Arabie ainsi que vers les bordures du paléo-fleuve Jawf-Hadramawt. Elle permet également d’atteindre les quartiers extra-muros situés aux pieds de la colline mouvementée de Qarat al-Ghirân en contrebas de la nécropole[2]. Elle est aménagée dans un renforcement du rempart à crémaillère et est précédée, comme la porte n°7, par un rempart alternant tours et courtines régulièrement espacés. Le retour des parois internes de deux tours permet la mise en place d’un passage qui mesure ainsi 15,50 m de long pour une largeur de 4,80 m. La fortification avancée se prolonge vers l’est en montant vers les pentes du Qarat al-Ghirân ou elle va être remplacée par le rempart à crémaillère en galet, couramment mis en œuvre dans cette enceinte extérieure.

 

La porte 9

Le rempart en galets, liaisonnés au mortier de chaux, avec son glacis de protection, se poursuit vers la porte n°9 au col d’al-Khalif à 708 m d’altitude. Fortement défendue par un renforcement de ses fortifications, la porte d’al-Fardhâ, qui n’a jamais fait l’objet de fouilles archéologiques, semble ouvrir également sur des quartiers extra-muros. L’aménagement de cette porte large de 5,40 m a nécessité la mise en œuvre d’ouvrages maçonnés importants. Ouverte vers les hauts plateaux du Jawl et la passe d’Aqayba qui lui fait face, elle ne doit pas être considérée comme secondaire. Ses parois de 2,00 m de large et de plus de 2,50 m de haut sont en effet adossées à un massif imposant de brique crue qui renforce l’effet de masse de l’édifice.

 

La porte n°10, la porte méridionale du rempart extérieur

 

Cette porte est située près de l’angle sud-est de cette enceinte au lieu-dit Tarîq 'Ala al Mabzara. Cette partie de la grande enceinte du site est généralement considérée comme assez tardive. Elle a fait l’objet d’une fouille systématique en janvier 1975. Il s’agit d’une porte monumentale percée dans un mur d’enceinte en brique crue revêtu d’un parement extérieur en pierre de petit appareil. Cette porte sud de la ville[3], large de 3,00 m seulement, se présente comme un simple passage que ne défend aucune tour (12). Dans une première phase, ses murs sont montés en grand appareil (longs de 0,85 à 1,35 m et hauts de 0,46 à 0,57 m) sans commune mesure toutefois avec celui de la tour de Dar al-Kafir. La porte comporte des fondations hétérogènes de blocs alternés de grès et de calcaire, liaisonnés au mortier rose, qui font office d’assises de réglage au-dessus  des briques crues. Les tableaux de cette porte mesurent 4,00 m et bloquent le massif de terre[4]. Dans une phase postérieure, les parois adjacentes  à la porte sont réalisées en moyen appareil[5]. Ces parois, larges de 1,00 m, comportent un double parement comme celles du rempart près de la citadelle.

Les fondations de cette porte et son assise de réglage sont constituées de matériaux durs noyés dans du mortier. Le grand appareil de l’élévation encadrant la porte est composé, d’une part de calcaire dur beige rosé et, d’autre part, de calcaire blanchâtre, ferme et fossilifère. Le moyen appareil est situé un peu en retrait de l’entrée, sur les murs adjacents formant les premiers redans du rempart de part et d’autre de la porte. Il est constitué de calcaire dur et beige analogue à celui des murs du rempart sud à l’arrière de la citadelle.

 

CHRONOLOGIE ET USAGES

 

Les premières traces d’occupation du début du second millénaire ont été découvertes dans les niveaux les plus profonds des deux sondages stratigraphiques réalisés au pied de l’éperon d’al-Aqab, sur la face nord à l’intérieur du cercle de collines du site[6]. Le niveau de ces occupations indique que les premiers habitants de Shabwa s’installent sur un terrain relativement plat[7]. Quelques siècles plus tard, aux alentours du Xe siècle av. J.-C., un important bâtiment en brique crue est édifié à l’emplacement de ce qui sera plus tard la Palais Royal[8]. Une première enceinte quadrangulaire semble avoir délimité, en l’entourant, l’ensemble des établissements existants ainsi qu’un certain nombre de terrains libres et disponibles[9]. Cette enceinte tient à l’écart le grand monument daté du Xe-IXe av. J.-C., ce qui tendrait à prouver que cet édifice singulier aurait pu être un sanctuaire qui se trouve situé hors les murs tout en restant au centre du cercle de collines. Une série de transformation du tracé de ce rempart intérieur est réalisée ; en premier temps le bâtiment extra-muros est intégré dans l’enceinte, ce qui sans nul doute s’accompagne d’un changement de statut[10], puis les alentours de la porte n°4 sont modifiés pour mieux adapter le système de fortification.

 

Les habitants de Shabwa vont plus tard renforcer les lignes de crêtes extérieures par un rempart continu de galets maçonnés accompagné, ponctuellement, de bastions isolés. Ce rempart extérieur est réalisé en plusieurs phases : tout d’abord la vaste dépression d’as-Sabkah est protégée et les cols dotés de portes et d’un deuxième rideau défensif externe. Puis la citadelle, à l’écart de la ville close, est entourée d’une enceinte qui pourrait avoir délimité un quartier encore enfoui sous les maisons du village d’al-Hajar.

 

La fonction exacte de chaque porte n’est pas connue. Aucune donnée archéologique ou épigraphique ne permet de garantir un rôle précis à ces dispositifs. Nous en sommes donc réduits à proposer des hypothèses fondées sur des constatations issues de la confrontation des résultats des différentes fouilles d’une part et, d’autre part, de la configuration et de la morphologie du site. Dans un premier temps, il est nécessaire de resituer Shabwa autant dans le réseau de ses échanges commerciaux qu’au sein même de son territoire. Shabwa, excentré en Hadramawt, est en relation serrée avec son royaume situé pour l’essentiel à l’est de la capitale. Elle est également en liaison directe avec Qana (Bir Ali), au sud, son port de référence par où transitent épices, aromates et autres marchandises précieuses venues des côtes de l’Océan Indien. A l’ouest, de l’autre côté du Ramlat as-Sabatayn, c’est le royaume de Saba et les cités du Jawf. Enfin, vers le sud-ouest, nous trouvons la route des caravanes qui se dirige vers le royaume de Qataban. La ville doit aussi communiquer quotidiennement avec ses différents territoires irrigués et avec ses zones de pâturages. Il ne faut pas négliger, non plus, la nécessité de rejoindre les lieux d’extraction[11] de la pierre qui, une fois taillée et parementée, va permettre à la ville de se doter d’édifices majestueux. Lire la suite



[1] BESSAC 1998

[2] voir chantier XIV dans BRETON 1998,

[3] PIRENNE 1975, 268

[4] PIRENNE1978,Va et b,

[5] BESSAC 1998, 238,

[6] BADRE 1992

[7] BRETON-ROUX 2005

[8] BRETON 2003

[9] J.-F. Breton, De Shabwa à Palmyre : questions d’urbanisme, dans Fouilles de Shabwa IV, à paraître.

[10] La construction du Palais Royal est datée par analyse du IVe siècle av. J.-C et certaines réfections des murailles sont datées, par des inscriptions, de la même période.

[11] BESSAC 1998

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