(...) L'architecture de pierre...suite


1.1 Les parois en ossature de bois

 

L’apparition, durant la phase 6b, d’une construction en bois confirme la relative précocité de ce mode d’édification au sein de la ville « intra-muros » de Shabwa. Ainsi un rapide sondage avait permis la découverte d’une telle superstructure[1]. Le mur MR 29 correspondant à cette structure complexe peut être daté des alentours du Ive s. av. J.-C.[2]. Les pièces de bois misent au jour en 2000 sont entièrement carbonisées et peuvent s’être légèrement déplacées au cours de l’incendie destructeur. Leurs positions et leurs assemblages restent malgré tout visibles et soumis à une proposition de restitution.  L’absence de soubassement maçonné  doit être également soulignée.

 

1.1.1 (MR 29)  Caractéristiques 

 

La fouille a permis de dégager l’angle d’un mur qui comprend une double rangée de sablières basses conservées respectivement sur 1,42m (S1) et sur 0,73 m (S2), une traverse de 0,65/ 0,70 m de long et deux sablières hautes (au-dessus de S1 et S3), visibles uniquement dans la berme. A l’angle du bâtiment, la liaison orthogonale (sans nul doute à mi-bois) n’a pas été conservée mais on peut supposer qu’elle se réalise en continuité. La pièce S4, parallèle à S2, est au même niveau mais non  fixée à S1. Les deux pièces sont scellées par du mortier pour être conservées en place (fig.23). La sablière interne S3, parallèle à S1, s’appuie sur S2 et S4 et s’abaisse progressivement de manière à être de niveau avec S1, dans la berme. Les pièces de bois carrées ont une section de 0,13/0,15m sur 0,08/0,10 m et leur écartement est de 0,36 m. La largeur totale du mur était environ de 0,65m.



[1] Le bâtiment 44, peut-être un temple, a été daté des alentours de la deuxième moitié du IV e siècle av. J.-C., Breton 1998 b.

[2] US 29 - Beta-145200, 2330 +/-60 BP cal 1 sygma 350-300 av. J.-C.,  2 sygma 520-220 av J.-C.



1.1.2 Techniques de construction

 

Les assemblages ne sont pas exactement connus. Cependant les positions respectives des bois indiquent que les sablières de la face extérieure de la paroi (S1 et S2) sont sur le même plan, ce qui ne se rencontre généralement pas sur le site (les sablières se superposent dans les angles et leur liaison se fait par clavetage et non à mi-bois[1]). Dans la mesure où ces pièces n’auraient pas subi de déplacements trop importants durant l’incendie qui détruisit le bâtiment, on peut supposer soit une variante d’un principe de liaison des sablières, généralisé à Shabwa, dont l’origine pourrait être d’ordre parasismique, soit un prototype de structure qui reste à maîtriser et à standardiser. L’absence de soubassement en pierre et briques de terre crue et la présence d’un scellement au mortier indiquent bien certaines maladresses constructives.

 

1.2. Les parois en maçonnerie de pierre 

 

Durant les phases 3 et 4, nous constatons la généralisation de l’emploi de la pierre comme matériau de construction prioritaire ; elle est souvent associée à l’utilisation de mortier (de plus ou moins bonne qualité). La maçonnerie est généralement soignée et semble correspondre à une planification du chantier et des techniques de construction. L’approvisionnement en moellons polyédriques est précis et comptabilisé au plus juste : aucun déchet de taille qui impliquerait une taille de pierres à pied d’œuvre, n’a été constaté. On peut comparer ces maçonneries, malgré l’étroitesse du sondage, à plusieurs édifices de la ville soit légèrement plus tardifs (?) comme le bâtiment 72[2], ou presque contemporains comme le bâtiment 41[3]. Les parois sont composées de blocs polyédriques utilisés en parement extérieur et renforcées par des chaînes d’angle plus soignées. Le parement intérieur est en général plus irrégulier et moins bien soigné.

On peut aussi comparer la maçonnerie de pierre de ces deux périodes avec l’architecture du temple extra-muros de Shabwa[4] et avec celle du sanctuaire d’al Uqla[5].

 

1.2.1. Caractéristiques

 

MR 46

 

Ce long mur correspond à un édifice parallèle à la maison en brique (MR 80), à une distance de 2,50 m en moyenne. Orienté nord-ouest/sud-est, incliné vers le sud, il est daté de la phase 6. Un mur de refend, en direction du sud-ouest, est visible sur quelques décimètres de longueur. Malgré le démontage méticuleux de son parement sud-ouest, il est possible de restituer sa largeur qui avoisinerait les 0, 50 / 0,60 m (fig. 24 et 32). Il est conservé, dans sa partie nord, sur 0,20 à 0,50 m de haut et comprend une à trois assises de blocs polyédriques volumineux, amaigris en queue (diamètre de 0,20 à 0,25 m pour une profondeur de 0, 30 à 0,40 m). Le liant est composé par un mélange de chaux et de terre. Le mur de refend n’est apparemment pas hourdé avec un quelconque mortier ; parfaitement chaîné au MR 46, il mesure également 0,50 m de large. A l’emplacement de la liaison entre le refend et le mur la hauteur de la construction approche 1,00 m. Bien qu’assez disparate en général, sa maçonnerie comprend même plusieurs blocs bien équarris disposés en carreaux et en panneresses.

        

MR 02 et MR 03

 

Appartenant à la phase 4, le bâtiment 02 n’est pas connu dans sa totalité ; il occupe une grande partie du sondage pour se prolonger ensuite sous la berme sud. Partiellement détruit, il conserve deux de ses parois, des vestiges du sol et une porte d’accès. Les parois, montées  avec des petits moellons polyédriques amaigris en queue, sont conservées sur une hauteur de 1,50 m en moyenne. Sa fondation, légèrement débordante et peu épaisse, se résume à un hérisson en tout venant composé d’éléments rocheux disparates (galets, cassons, petits blocs). Ces deux parois partiellement conservées correspondent à l’angle nord d’un bâtiment soigneusement réalisé. Il n’est conservé que sur des longueurs respectives de 1,15 m (MR02) et de 2,70 m (MR 03). La paroi orientale possède une porte en retrait, reconnue sur 0,73 m, dont nous ne connaissons que le pied-droit nord, et le seuil situé à 0,50 m au-dessus de la base de l’édifice. Le tableau mesure 0,55 m de large et possède une feuillure extérieure, de 0,28 m sur 0,25 m, manifestement destinée à recevoir un chambranle de porte en bois.

 

La fouille a permis de révéler la présence d’un sol dont il ne reste que le radier de galets et de fragments de pierres plates noyés dans du mortier compact. Le bâtiment est enduit à l’intérieur de fines couches de chaux blanche en continuité avec le revêtement de sol. A l’extérieur un crépi ocre jaune à base de chaux était appliqué. Au pied des  parois, des fragments d’enduit avec des traces de clayonnage ont été découverts.

 

MR 04

 

Ce mur qui a percé le bâtiment 02, est conservé sur une longueur de 4,60 m et une largeur estimée à 0,50 m, et se prolonge sous la berme sud. Détruit dans sa partie nord, il ne reste qu’une assise bâtie avec des moellons polyédriques disposés en boutisses et relativement mal équarris. Il pourrait correspondre soit à un bâtiment secondaire soit à un mur de clôture simplement lié avec un grossier mortier de terre limoneuse.

 

MR 05

 

Le mur MR 05 qui s’appuie contre le mur MR 02, est parallèle au mur MR 04 à une distance de 1,40 m en moyenne. Ces deux parois sont associées au même niveau de sol (US 05). Appuyé contre la paroi MR 02 et en prolongement du mur MR 03. Orienté vers le nord-ouest, il se retourne vers le sud-ouest en créant peut-être une protection pour le foyer FY 01. Il comprend une seule assise de moellons et petits blocs de modules très divers. Il mesure 1,30 m de long sur 0,40 m de large et se retourne sur 0,50 m. Les pierres sont liaisonnées avec un mortier de terre grossier. Ce mur ne semble pas appartenir à un bâtiment et servirait de mur bahut, de protection à un petit enclos.

 

MR 01

 

Installé au-dessus du mur MR 04, il n’en reste que les vestiges d’un angle chaîné, liaisonné avec un mortier blanc épais. Seul le parement extérieur est conservé sur trois assises pour une hauteur de 0,53 m. Le côté ouest mesure une longueur de 0,66 m, sa face est légèrement plus de 1,00 m. La maçonnerie est composée de  blocs irréguliers disposés généralement en boutisses.

 

Techniques de construction

 

Aucun édifice appareillé, à parements quasi isodomes piquetés ou non,  n’a  été mis au jour dans ce sondage. Nous ne trouvons qu’une maçonnerie simple et efficace bâtie avec des moellons polyédriques relativement bien calibrés et amaigris en queue (en boutisse). Les fondations sont rarement généreuses, le plus souvent les édifices se posent sur les ruines précédentes et se déversent régulièrement, plus particulièrement vers le sud. L’usage du mortier est généralisé : quand l’édifice est soigné (Bât 02), les parois sont enduites tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, dans les autres cas la maçonnerie reste partiellement apparente avec des joints beurrés qui, tout en protégeant la façade, laissaient voir les faces externes des moellons. Le parement intérieur des parois a le plus souvent disparu, soit récupéré soit dispersé. Ne faudrait-il pas voir, dans ce cas, une différence de qualité dans la confection des parois entre un parement extérieur monté en longues pierres mieux équarries, disposées en boutisses et un parement intérieur, plus irrégulier et moins bien appareillé ?

 

7.3. Les structures maçonnées

 

Deux structures particulières ont été observées. Le grand massif SB 23 (phase 6b) est immédiatement situé sous  SB 11 dont le rôle cultuel est assuré. Peut-on parler de podium ? La qualité d’exécution de SB 23 avec la mise en œuvre de grandes dalles posées de chant supportant des dalles elle-même destinées à recevoir des éléments maçonnés pose la question de la destination de cet aménagement secondaire adossé au mur MR24. La structure SB 11 (phase 4) est quant à elle adossée à la façade d’entrée du bâtiment 02. Elle est fortement dégradée par différents mouvements du sol. Elle était notamment destinée à la fixation verticale d’une grande stèle qui est un remploi d’une table de libation. Aucune comparaison immédiate ne peut être faite avec les structures découvertes à Shabwa[6].

 

1.3.1. Caractéristiques

 

SB 23 : La structure SB23, s’appuie sur le mur MR 25 et s’adosse à MR 24. Elle est dégagée, sans que la fouille ne l’est totalement exhumée, sur une hauteur de près de 1,20 m. La partie inférieure de cet ensemble pratiquement carré (1,00 sur 1,25 m) se compose de deux dalles horizontales (0,80 m x 0,60 m x 0,20 m d’épaisseur pour la plus grande) qui reposent sur des grandes pierres plates posées de chant. Le blocage interne en tout venant est composé de déchets de taille et de gravats divers. Au-dessus, un aménagement comprenant à la base des pierres plates limitées par des petites dalles verticales dont une seule subsiste. Il pourrait s’agir d’un aménagement postérieur (fig. 30 et 31).

 

SB 11 : L’ensemble nommé SB 11, qui se superpose à la structure SB 23, est adossé au Bâtiment 02. Il comprend essentiellement un blocage en tout venant qui soutient et scelle verticalement une grande pierre verticale en réemploi. Cette stèle est un fragment de dalle de libation posée verticalement qui mesure 1,45 m sur 0,31 m pour 0,09 m d’épaisseur ; elle comporte des décrochements réguliers chanfreinés (fig. 38). Sa position oblique n’est peut-être que le résultat des différents mouvements de terrain qui ont régulièrement affecté la zone. D’autres petites dalles (0,30 m par 0,25 m sur 0,10 m d’épaisseur pour l’une d’elle), pour la plupart des réemplois, sont posées de part et d’autre de la stèle. La présence d’un brûle parfum atteste du rôle cultuel ou funéraire de cette structure.

 

1.3.2. Techniques de construction

 

Ces deux structures massives possèdent la particularité d’être bâties avec des pierres posées de chant, en délit et en orthostate.  Des dalles posées à plat complètent le dispositif. Il s’agit avant tout de plates-formes réalisées avec des éléments de récupération.

 

1.4. Conclusion  générale

 

Les dimensions même de ce sondage ne permettent pas des extrapolations suffisamment précises mais les résultats n’en demeurent pas moins concluants et le tableau ci-dessus indique une chronologie relative qui correspond aux données recueillies à Shabwa pendant de nombreuses années. La diversité des techniques de construction est frappante et leur concomitance momentanée montre bien qu’à certaines périodes l’architecture de pierre a côtoyé l’architecture en adobe et celle, composite, en ossature de bois. Le sondage confirme également l’apparition précoce des édifices en ossature de bois ; la destruction du bâtiment 44 n’avait-elle pas été datée du IVe siècle av. J.-C.



[1] Darles, 1998 a

[2] Breton 1998 c.

[3] Badre 1992, p. 258-260.

[4] Breton 1998 d.

[5] Darles 1998 b.

[6] Dans les niveaux profonds du grand temple, un podium a été identifié et un autel  a été mis au jour dans la grande cour du palais royal. Voir à ce propos Breton- Darles 1998, p. 102 et Ch. Darles, Des formes et des formules architecturales originales ? in J.-F.Breton, Fouilles de Shabwa IV, ouvrage à paraître

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