(...) Le dispositif d'entrée du palais royal de Shabwa, suite

Comparaisons

 

Le Palais royal de Shabwa se rattache à un type d’édifice attesté dans les différentes cités d’Arabie du sud : la maison-tour précédée d’une cour entourée d’un édifice à portique. Tels se présentent aussi le temple Bar’ân à Ma’rîb, et le grand monument dit “ TT1 ” à Tamna’. Ces trois édifices comportent des dispositifs d’entrée qui présentent quelques similitudes avec ceux que l’on peut rencontrer dans d’autres temples comme ceux de Raybûn, de Hayd bin-Aqîl à Tamna’, de Barâqish et d’Awwâm à Ma’rîb. Ces comparaisons locales doivent être complétées par une réflexion sur les analogies entre ces porches yéménites et leurs homologues axoumites.

 

Si nous limitons notre étude aux dispositifs d’entrée de Shabwa et de Tamna’, ces rapprochements restent toutefois formels car les solutions architecturales diffèrent d’un ouvrage à l’autre. Les temples possèdent en général un dispositif en saillie et le bâtiment “ TT1 ” un dispositif comportant un porche délimité par un alignement de piliers monolithes en façade. Le Palais de Shabwa semble présenter un dispositif plus complexe avec un rentrant à double porche dont l’ossature est composée, dans les deux hypothèses de restitution, de pièces de bois. Il est aussi possible que, dans le premier état, le massif de maçonnerie destiné à l’escalier ait pu soutenir une avancée sous forme de baldaquin[1].

De nombreux tombeaux rupestres de Lycie possèdent une façade sculptée représentant un édifice à ossature de bois. Cette originalité de l’architecture lycienne  apparaît sur les monuments funéraires de Xanthos et des environs. D. Krencker proposait déjà au début du XXe s. une comparaison entre ces représentations[2], celles d’Axoum et l’architecture contemporaine de certaines églises éthiopiennes comme celle de Debre Damo[3]. L’étude architecturale des tombeaux de Lycie a été menée plus tard par le Dr Borchhardt (Université de Vienne) qui a proposé plusieurs vues tridimensionnelles ; plus récemment, des archéologues autrichiens ont tenté, sur le site de Limyra, une reconstitution de tels édifices. Un petit bâtiment cubique de 4.50 m de côté a été réalisé entièrement en bois. Le principe d’assemblage d’entaille à mi-bois (ou à quart de bois) permet un encastrement plus résistant que le simple empilage de pièces de bois. Les décalages en hauteur visibles entre les pièces horizontales perpendiculaires permettent une meilleure rigidité de l’ossature qui n’est pas contreventée. Ce contreventement, comme dans l’architecture de l’Arabie du Sud est assuré par la masse même de la paroi, en briques de terre crue à Shabwa en petites pierres liaisonnées avec du mortier de terre à Tamna ou en Ethiopie. La fragilité des tombeaux lyciens réside néanmoins dans la faible épaisseur des parois qui ne comportent qu’une largeur d’ossature en bois. Egalement les traverses ne sont disposées qu’au dessus des sablières des parois latérales contrairement à l’ossature du Palais royal qui place toutes les pièces verticales entre deux traverses. La sablière servant ici de chaînage horizontal.

 

Nous tentons de comparer cette disposition d’éléments architecturaux avec les figurations connues en Ethiopie. Certains édifices d’Axoum comportent également des soubassements massifs à degrés montrant des retraits importants et une suite de redents et de rentrants. Une des hypothèses de restitution du dispositif d’entrée du Palais royal de Shabwa envisage un rentrant de ce type qui précèderait un porche au centre de la façade principale. Rappelons ici que le socle A du bâtiment « TT1 » de Tamna’ comporte également une série de rentrants et de redents. À Axoum, ces représentations sont de trois types : les images pétrifiées que l’on rencontre sur les stèles, les façades des tombeaux, et les élévations de certaines églises rupestres médiévales.

 

Les auteurs des différentes publications concernant l’architecture d’Axoum sont unanimes pour voir dans ces façades sculptées la représentation de constructions en bois, comme il en existe d’une part encore en Ethiopie mais aussi dans d’autres contrées du Proche-orient telles le Kurdistan ou l’Asie centrale. Les représentations pétrifiées d’Axoum indiquent une saillie des traverses, comme sur les façades sculptées des tombeaux de Lycie, or, en aucun cas ce principe précis de construction n’est attesté à Shabwa où l’ensemble de l’ossature, qui reste visible à Shabwa, est installé au nu des parois. À Axoum, seules les pièces de bois verticales sont recouvertes par un enduit et il est possible de constater, comme en Lycie, un encastrement à quart de bois entre les sablières et les traverses supérieures. Alors qu’à Shabwa l’usage des tenons et des mortaises ainsi que des clavetages de pièces sont généralisés, il est difficile au vu des publications d’envisager ce principe en Ethiopie et en Lycie.

 

L’encadrement des baies est entièrement en bois dans les représentations pétrifiées d’Ethiopie et de Lycie, il l’est également dans les églises éthiopiennes comme dans l’architecture contemporaine traditionnelle du plateau anatolien. Une série de cadres sont installés en retrait les uns des autres. Le dormant de l’ouverture, dans lequel va être disposé un ouvrant muni d’une ou plusieurs serrures, est composé de quatre pièces longitudinales  (le seuil, le linteau et les deux montants) encastrées dans quatre traverses débordantes. Ces traverses, pièces maîtresses de la composition, reposent sur l’encadrement en bois qui compose le tableau de la baie. Ce tableau est également un cadre complet ; il est double de manière à recevoir dans l’axe de son épaisseur le dormant. Il est composé de quatre traverses débordantes et de huit poteaux qui constituent les cadres intérieur et extérieur du tableau. L’épaisseur totale de ce complexe est de trois fois la section des pièces verticales. Dans les cas où les murs sont plus épais, un autre encadrement est élaboré de part et d’autre de ce tableau. L’épaisseur totale du dispositif d’entrée est de cinq sections de poteau.

Notre tentative de restitution se fonde sur la comparaison des vestiges des superstructures du Palais de Shabwa avec les représentations de Lycie et d’Ethiopie. Si quelques nuances peuvent être apportées pour la nature des parois composites, il n’en demeure pas moins que la constitution des murs du Palais peut être considérée comme une des variables possibles d’un procédé constructif parfaitement maîtrisé. Les représentations des baies, en Lycie et au Tigray, nous intéressent plus particulièrement car aucun vestige n’a été, à ce jour découvert, lors des différentes fouilles. Seules existent, en Arabie du Sud, les représentations sculptées sur les dalles à panneaux encastrées, ainsi que quelques maquettes comme les temples miniatures découverts dans le wâdî Jawf et à Kamna[4].  Ces représentations stylisées et succinctes, tout en confirmant les hypothèses concernant les ossatures et les châssis de baies en bois, fournissent cependant moins d’information que les architectures funéraires de Xanthos et les façades pétrifiées de l’architecture d’Axoum.

 

Bibliographie

Anfray, F. Fouilles de Yehâ. Annales d'Ethiopie IX, 45-56. 1972.

Anfray, F. L'Archéologie d'Axsoum en 1972. Paideuma 18, 60-78. 1973.

Breton, J.-F. L'Orient Gréco-Romain et le Hadhramawt. Fahd T. L'Arabie préislamique et son environnement historique et culturel, 173-185. 1987. Strasbourg, Université des Sciences Humaines de Strasbourg. Centre de recherche sur le Proche-Orient et la Grèce antiques. 24-6-1987.

Breton, J.-F., 1991. Shabwa et les capitales sudarabiques. Fouilles de Shabwa II, Rapports préliminaires 419-431.

Breton, J.-F., 1998f. L'habitat à Shabwa : originalité et traditions régionales. Fouilles de Shabwa III, Architecture et techniques de construction 67-76.

Breton, J.-F.D.C., 1995. La maison tour dans l'antiquité. Sanaa, architecture domestique et société 449-457.

Breton, J.-F.D.C.R.C.J.S.J.L., 1997. Le grand monument de Tamna' (Yémen), architecture et identification. Syria LXXIV, 33-72.

Breton, J.-F.S.J.A.R., 1981. Rapport préliminaire sur la fouille du "Château royal" de Shabwa (1980-1981). Raydân 4, 163-190.

Darles, C., 1992. L'architecture civile à Shabwa. Fouilles de Shabwa II, Rapports préliminaires II, 77-110.

Darles, C., 1998a. Etude typologique de l'architecture intra-muros. Fouilles de Shabwa III, Architecture et techniques de construction 3-26.

Darles, C., 1998b. L'architecture civile extra-muros de Shabwa : étude typologique et restitution. Fouilles de Shabwa III, Architecture et techniques de construction 77-85.

Krencker, D., 1913. Deutsche Aksum Expedition. Berlin.

Krencker, D., 1935. Die  Stelen von Aksum. Jahrbuch des Deutschen Archäologischen Instituts Forschungen und Fortschritte 12. Jahrbuch des Deutschen Archäologischen Instituts.

Seigne, J., 1992. Le château royal de Shabwa. Le bâtiment, architecture, techniques de construction et restitutions. Fouilles de Shabwa II, Rapports préliminaires 111-164.

Van Beek, G.W., 1958. Marginally Drafted, Pecked Masonry. Archaeological Discoveries in South Arabia 287-298.

Van Beek, G.W., 1959. A New Interpretation of the So-Called South Arabian House Model. American Journal of Archaeology 63, 269-273.



[1]  - SEIGNE, 1992, SYRIA, LXVIII, p.120, et note 13

[2] - KRENCKER, 1913, p. 9, d’après G. Neumann.

[3] - D. Krencker propose également une comparaison avec une mosaïque trouvée par Evans à Cnossos qui représente une façade avec la saillie des traverses de bois de l’ossature. KRENCKER, 1913, p. 7.

[4] - DARLES, 1993, p. 132 et 135.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :