L'architecture civile de Shabwa, étude typologique et restitution

Durant l'étude des périmètres cultivés et du système d'irrigation, P. Gentelle avait proposé à l'équipe d'archéologues, de réaliser la fouille de bâtiments situés en bordure d'un des réseaux irrigués. Il pensait pouvoir obtenir par un sondage stratigraphique, à cet endroit précis, une chronologie relative fondée sur l'étude de la céramique trouvée in-situ. Ce fut la première fouille d'architecture rurale à Shabwa. Le site d'al-'Oqm (AUDOUIN, 1992 et GENTELLE, 1992) a été dégagé en 1977 par R. Audouin (fig. 1 et 2). La fouille permit de dégager deux édifices ainsi que deux vannes secondaires d'adduction d'eau. A 4 km au nord-ouest de l'ancienne capitale, en bordure du réseau d'irrigation IR 3, le site est situé au milieu d'une quinzaine de bâtiments apparemment du même type. Il existe d'autres édifices sur les bords des réseaux d'irrigation IR 2 et IR 4. Deux maisons (A et B) ont été fouillées durant quatre jours, puis, à 100 m de là, une maison (C) a été sommairement dégagée. Installées sur une légère plateforme de sable, la maison A mesure 10 m sur 8 et la maison B, 12,50 m sur 11.

 

En 1987, la mission s'était fixé comme objectif de fouiller deux autres bâtiments de la zone extra-muros de Shabwa afin d'affiner la compréhension de l'architecture domestique du site. Une première fouille (fig. 3), le chantier XIII (ROUX, 1992 a), conduite par J.-C. Roux, a permis le dégagement d'un édifice situé sur le flanc nord de l'éperon de Qârat al-Firân, en contrebas de la deuxième ligne de rempart. Il est entouré de nombreux autres vestiges de constructions diverses comme des fragments de murs de pierre liaisonnés au mortier. Le bâtiment choisi, sur une petite plate-forme à flanc de colline, comporte trois états distincts, les deux plus anciens construits en brique crue, le plus superficiel en maçonnerie de pierre et de brique. La fouille a dégagé une surface de 11 m par 6,50 m, qui a été légèrement étendue dans un deuxième temps. Le chantier XIV[1], dégagé en 1987 par J.-F Breton, est situé à 90 m à l'est de la muraille proche de la porte nord (chantier I)[2], à un niveau altimétrique équivalent. Le bâtiment d'une vingtaine de mètres de côté se présente comme un vaste quadrilatère avec un couloir axial séparant de nombreuses pièces longues de plus de 10 m. Cette même année lors d'une prospection aux confins des périmètres irrigués, au lieu dit Qârat al-Mi’shar (fig. 4), au sommet d'une légère butte située à quelques kilomètres au nord du site, une série de murs est apparue en surface avec quelques traces d'ossements d'ovidés et des restes de foyers. Le bâtiment incomplet mesure plus de 15 m sur 10. Seul un relevé des traces visibles a été réalisé.

 

Le corpus des édifices ruraux est certes limité mais nous considérons que la connaissance de ces quatre ensembles peut permettre de dresser les principaux traits significatifs d'une architecture ordinaire et banale. Les matériaux utilisés laissent moins de traces visibles que les hauts soubassements de blocs de pierre appareillés des monuments et des édifices intra-muros. L'architecture reste beaucoup plus sommaire, cependant elle est représentative de savoir-faire et de techniques, et peut aussi nous renseigner sur les comportements des habitants qui la fréquentaient.

 

Les matériaux de construction

 

Les matériaux mis en oeuvre dans ces différents bâtiments sont limités en nombre. La matière première la plus utilisée est avant-tout la terre des alluvions, récupérée en bordure des champs irrigués régulièrement irrigués, elle est façonnée soit sous forme de brique crue soit de pisé. On la retrouve aussi en tant que mortier de terre ou en terre battue additionnée souvent au mortier de chaux pour la confection des sols. La pierre est plus rare, on la retrouve soit sur quelques dizaines de centimètres de haut comme soubassement des superstructures en briques crues, soit comme élément constructif isolé, la plupart du temps afin de constituer un point dur d'assise pour un poteau. Les blocs de pierre peuvent être souvent des remplois comme la pierre inscrite découverte dans la maison A de al-'Oqm. Le bois est plus difficile à détecter, aucun débris comme sur plusieurs bâtiments intra-muros ni aucune trace en négatif ne nous sont parvenus, quelques éléments de couvertures en nervure de palmier ont cependant été trouvés dans les ruines du chantier XIV.

 

La terre crue

 

On ne rencontre la construction en pisé que sur le site d'al-'Oqm où les murs sont partiellement réalisés en pisé et en briques de terre crue. Les dimensions de ces briques varient de 26 à 23 cm sur 22 à 18 cm et 8 à 9 cm d'épaisseur. Sur le chantier XIII, le module des briques oscille de 25 à 32 cm sur 35 à 42 cm pour le module le plus fréquent, le deuxième a des dimensions de 24 par 30 cm. Les murs ont une épaisseur moyenne de 32 à 40 cm. Le chantier XIII est entièrement construit avec des briques qui avoisinent 25  sur 35 cm pour une épaisseur moyenne de 7 cm. A Qârat al-Mi’shar les dimensions varient de 25 à 30 cm sur 35 à 40 cm de long, mais, en l'absence de sondage, aucune épaisseur n'a pu être mesurée.

 

Les pierres

 

Sur le site d'al-'Oqm la base de certains murs est faite de parements de blocs en tout venant de calcaire avec un remplissage de petits cassons et de fragments de briques crues. Quelques blocs isolés peuvent avoir servi de seuils. Le chantier XIII a fourni des blocs de calcaire de 25 par 35 cm sur 20 cm qui constituent la partie basse de murs appartenant au troisième état. Quelques dalles de schiste ou de grès schistoïdes ont été trouvées dans le chantier XIV. Ces pierres de 30 cm sur 30 et de 10 d'épaisseur couronnaient des bases qui ont servi de support à des poteaux probablement en bois. Enfin les galets représentent la matière première des radiers rencontrés sous les sols de terre battue ou en pavage d'adobe de la phase 3 du chantier XIII.

 

Le bois 

La fouille du chantier XIV a permis la découverte de restes de nervures de palmiers ayant appartenu à la toiture. Quelques menus objets en bois, par exemple une tête de sanglier et quelques fragments de fibres végétales calcinées, ont été découverts dans la maison A d'al-'Oqm.

 

Le plan et les différents éléments constructifs

 

Il n'est pas possible de tirer des conclusions suffisamment probantes de l'étude de ces quatre ensembles. Chacun de ces sites correspond à un volet différent de la vie agricole et seules des comparaisons avec des édifices dégagés au cours de fouilles sur d'autres sites d'Arabie du Sud peuvent nous permettre de définir les éléments propres à créer une typologie. Nous ne ferons ici qu'une description ordonnée des caractéristiques de ces divers édifices.

 

L'implantation

 

En général ces différents bâtiments sont construits sur des terrains légèrement surélevés par rapport aux zones  environnantes. La garantie de ne pas se trouver envahi par un ruissellement d'eau explique en grande partie le comportement des bâtisseurs. Certains bâtiments qui sont construits sur une couche de cendre de plusieurs centimètres d'épaisseur (al-'Oqm) peuvent être situés à l'emplacement d'une ancienne installation. Le bâtiment du chantier XIII repose sur un substrat de sable et de limon peu propice à la construction, et seul l'emplacement, apparemment non isolé et privilégié, peut expliquer son implantation. Le chantier XIV, situé à un niveau relativement élevé puisque à la même altimétrie que le "rempart à crémaillère" du sud-est de la cité, repose lui même sur de la terre d'origine alluviale. Le site de Qârat al-Mi’shar est en soi une légère éminence artificielle qui, aujourd'hui, correspond à une butte entre deux bras du wâdi Mi’shar[3].

 

Les plans

 

Les "maisons" d'al-'Oqm se présentent comme des édifices distincts, non mitoyens et relativement carrés. Nous ne connaissons pas entièrement la maison B, dont 12 pièces seulement ont été dégagées, mais on peut la considérer comme similaire à la maison A dont on a répertorié 14 pièces. Une trame orthogonale de 2,00 à 2,50 m semble s'imposer, elle n'est pas sans rappeler la trame des soubassements des édifices civils de la zone intra-muros. La maison A correspond à un édifice tramé de trois modules par trois, même si la pièce 1 se présente comme une variante de deux trames par une et les pièces 4 et 5 d'une trame et demi par une. Les deux maisons possèdent des annexes[4] ainsi que des banquettes dans une ou plusieurs pièces (maison A : pièce 1 et maison B : pièces 11, 12 et 13). On en trouve une aussi de 1,60 m de long dans une des pièces du chantier XIII. Les édifices successifs du chantier XIII et de Qârat al Mi’shar ne présentent pas de plans évidents et suffisamment clairs, même si les pièces du bâtiment de ce dernier site ( mais s'agit-il vraiment de pièces closes ?) sont beaucoup plus grandes que celles du chantier XIII qui ne dépassent pas 2,10 m par 2,20 à 3,60 m. Le chantier XIV offre la particularité d'être composé sur la base d'un couloir central de 2 m de large desservant de part et d'autre des pièces de 1,60 à 1,90 m sur 10 m de long, situées en deux rangées de huit.

 

Les sols

 

La structure des sols diffère suivant les sites. La plateforme sur laquelle s'inscrivent les deux maisons fouillées d'al-'Oqm est terrassée et préparée avec du sable. Cette plateforme est aménagée suivant la pente naturelle, ce qui crée des différences de niveaux entre les pièces. Le chantier XIII présente la particularité de posséder des radiers, parfois de plus de 50 cm d'épaisseur, composés de terre et de chaux avec de nombreux galets et des pierres de tout venant. Ainsi dans la pièce 7, la fouille a permis la découverte d'un radier de galets de 60 cm  d'épaisseur. Les revêtements sont disparates. Sur le site d'al-'Oqm, on rencontre de la terre battue mélangée avec de la brique comme dans les pièces 1 et 2 de la maison A et dans la pièce 11 de la maison B, d'autres pièces ont pourtant un sol sableux. Le chantier XIII possède des sols en chape de terre battue de 20 à 40 cm d'épaisseur dans les phases 1 et 2 alors que les sols des pièces 5 et 6 sont constitués d'un pavage de briques crues. Posées à joints filants, elles sont placées sur deux niveaux d'épaisseur. Le revêtement de la pièce 7 comportait une forte proportion de chaux mélangée à la terre. Le chantier XIV a un sol primitif en terre battue, plusieurs fois recouvert par des détritus et de nombreux déchets organiques.

 

Les murs

 

Certains murs extérieurs des maisons d'al-'Oqm sont légèrement fondés et reposent en outre sur une couche de cendre. La fondation est composée d'un parement grossier en petites pierres avec blocage interne de cailloux et de fragments de briques. De même sur le chantier XIII, les fondations en pierre des murs de l'état 3 consistent en deux ou trois assises de blocs de tout venant liés avec un coulis de terre, elles sont composées d'un double parement posé soit sur un lit de sable soit sur du limon. D'autres parois ont des fondations composées de galets mélangés à de la terre limoneuse. Les élévations des superstructures des édifices d'al-'Oqm sont en pisé avec quelques briques crues de 30 cm de large. A la base des murs, conservés sur 90 cm de haut dans la maison A et sur 70 cm dans la maison B, on trouve un revêtement de mortier conservé sur 40 cm de hauteur. La maison C présente un enduit à gravillons peint en rouge sur une des parois intérieures et la maison A un enduit extérieur de chaux. Le chantier XIII comporte des murs en brique crue dans la première phase de construction. Les briques crues sont disposées en parpaing dans trois des quatre murs de cette phase, le quatrième qui s'apparente à un contrefort possède des briques disposées en panneresses. Les murs K et L de la phase 3 ont conservé une partie de leur élévation en pierre constituée de blocs de calcaire, ainsi que de blocs légèrement dégrossis, le tout liaisonné avec du mortier de chaux. Ces blocs constituent la partie basse de la paroi qui s'élève ensuite en briques de terre crue. Les murs du chantier XIV, conservés sur quelques dizaines de centimètres, sont composés de briques crues. A Qârat al-Mi’shar les murs extérieurs comportent plusieurs briques dans leur largeur, alors que les refends ne comportent qu'une brique disposée en panneresse[5]. Lire la suite



[1]Voir l'article de J.-F. Breton et ses illustrations dans cette publication.

[2]La porte nord de la cité dégagée en 1976 par P. Gouin n'a pas encore été publiée.

[3]Le wâdî Mi’shar est la branche la plus orientale du wadi Irma, l'autre bras dérivé étant, vers l'ouest, le wâdî 'Atf.

[4]La pièce 3 de la maison A peut être considérée, avec son espace de cuisson, comme une cuisine.

[5]On peut comparer ce type de maçonnerie à celui du  bâtiment du niveau XIII du sondage stratigraphique.

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