L'architecture civile à Shabwa (suite)

Les parois ont une épaisseur de 50 centimètres environ (voir planche str N° 44) et reposent sur les parois des soubassements alvéolaires. Le sol intérieur est en briques crues, parfois recouvertes d'enduit (55), mais aussi en dallage de calcaire jaune (34).

 

Le plan de ses bâtiments, quand il n'est pas répertorié sur des structures qui possèdent encore des éléments de superstructures (55, 44,72...) peut être déduit de la disposition des alvéoles du soubassement. Les parois composites étant parfaitement alignées avec leur fondation de pierre; nous en avons un grand nombre  d'exemples (35 environ).

 

Là aussi on ne peut que constater la répétition du même type:( certains bâtiments se singularisent comme les 56, 96,51) un couloir transversal terminé par un escalier est encadré par une série de petites pièces.

 

La structure 85 par exemple possède de part et d'autre de ce couloir sept pièces. On peut supposer que, telles les maisons -tours actuelles de la vallée du Hadramaut, nous rencontrons à ce premier niveau les pièces de stockage et les réserves. (1)L'étude des bâtiments contemporains nous montre que l'épaisseur des murs va décroissant au fil des étages (2). De la même façon les pièces s'agrandissent par la mise en œuvre de poteaux positionnés à l'intersection de deux murs de l'étage inférieur: on multiplie ainsi par quatre la surface des pièces. La présence de ces poteaux n'est pas attestée sur le site, même si certaines pièces de bois trouvées dans les décombres de l'incendie du château royal pourraient nous inciter à le croire. Nous n'avons pas à Shabwa de bâtiments qui aient conservé un premier niveau dans son intégralité.

 

L'étude des superstructures nous amène donc à trois constatations importantes:

* les bâtiments sont à étage (sûrement hauts et fortifiés)

* La même disposition en plan nous indique des similitudes d'usage et de pratiques sociales;

* La quantité de bois mis en œuvre pour la structure des parois porteuses est très importante (le volume de bois est aussi important que le volume de briques crues de remplissage)

 

Il faut ajouter à ces remarques le fait que la brique de terre crue reste l'élément architectonique de base pour la constitution des parois des bâtiments.

La question se pose de la hauteur des édifices qui de simples bâtisses de terre sont passés à un stade complexe de bâtiments  à ossature bois.

 

5.6 EDIFICES SINGULIERS

 

Outre l'ensemble de structures se rattachant typologiquement aux "maisons-tours",on rencontre dans la zone intra-muros un certain nombre d'édifices singuliers. La structure 40 est par exemple le dispositif d'accès au Haut-lieu et elle se rattache de ce fait à l'architecture religieuse. La structure 55 correspond au château, ses dimensions  et sa composition, ses bassins et son dispositif d'accès la rendent unique.

Excepté ces deux bâtiments clairement identifiés et liés à des symboliques spécifiques, on trouve des bâtiments remarquables par leur variation des types  habituels (74, 44, 96...).

 

La structure 74 comporte des rigoles et des dallages particulièrement soignés où l'esthétique s'allie à la technique. La répartition des différentes pièces autour d'un patio central à péristyle nous indique un usage relativement différencié des maisons tours. Dans le cas où cet usage serait du même niveau domestique, alors il serait question de différences de richesse ou de statut  social.

Le bâtiment 96, aussi énigmatique qu'il puisse apparaître, se singularise par son emplacement relativement isolé, autant que par ses dimensions et sa composition. Seule une fouille complète de ce soubassement symétrique pourrait nous permettre d'interpréter sa  nature. 

 

L'archétype des structures de la cité intra-muros de Shabwa reste à notre avis le bâtiment 52 proche du château royal et entièrement fouillé par R.BESENVAL. Sa qualité de parement, la régularité de ses blocs, ses proportions ainsi que ses dimensions nous amène ,malgré l'absence de couloir central évident, à le considérer comme un modèle.

 

Au Vème siècle après Jésus Christ, date attestée par une inscription, se reconstruit le bâtiment 72(1). Il se différencie des autres structures généralement plus anciennes non pas sur le plan typologique (il conserve le plan traditionnel des bâtiments de Shabwa), mais par le fait que les parois de sa superstructure  ne comportent plus de briques crues. Elles sont bâties en blocs diamantaires de calcaire gris ou en blocs disparates de réemplois. La présence de bois reste attestée par la présence trés rare de chainages ou de solives.

 

5.7 MATERIAUX

 

Si les galets  constituent une grande partie du glacis du rempart extra-muros(2),le rempart intérieur est en blocs cyclopéens de calcaire clair; ces blocs d'un poids de prés d'une tonne forment un rempart à bastion qui se différencie du rempart à redans de la zone d'Hajar où les blocs de calcaire  ne représentent là qu'un parement placé devant un massif imposant de brique crue.

Nous retrouvons ces deux derniers types de blocs de calcaires dans les soubassements de l'architecture civile.   Un rapprochement peut être fait entre les appareillages du rempart de Hajar et le château royal, de même qu'entre le rempart intra-muros et le bâtiment  85 par exemple.

 

En parement, en boutisse, en blocs de construction, la pierre sous toutes ses formes, de toutes dimensions (3) et de toutes natures est omniprésente sur le site. Le calcaire comme le grès sont représentés, exceptionnellement de la quartzite.

L'argile est sous forme de briques la composante prioritaire des superstructures, elle est aussi sous forme de coulis le liant de nombreuses parois.

Les mortiers sont représentatifs du soin apporté par les constructeurs à la construction de bassins ou d'enduits. Certains de ces enduits de bassin restent remarquables quant à leur technicité.

 

Quant au bois et aux quantités importantes rencontrées, le paradoxe n'est que plus frappant quand on sait que le climat semi-désertique de notre époque est fort proche de celui du premier millénaire avant Jésus Christ. Certes la présence de paléolacs à Al Quwid nous amène à croire le pays légèrement plus verdoyant qu'aujourd'hui.

 

5.7.1 GRES

 

Le grès employé sur le site, soit en grande dimension pour les fondations soit en dimensions plus réduites pour les soubassements, est issu de carrières d'extraction situées en amont du site de Shabwa. Ces carrières sont au même niveau altimétrique que le fond de la vallée et ne posèrent pas de problèmes majeurs d'extractions. Nous ne connaissons pas le mode de transport qui permit leur acheminement vers la cité.

Ce grès  du  crétacé et de couleur mauve ou rouge, parfois très sombre, est d'un grain assez grossier qui interdit un fin travail de taille. Nous avons des exemples de blocs travaillés à l'identique du calcaire mais ils restent rares.

La plupart de temps les blocs de grès équarris grossièrement servirent d'assise de fondation aux superstructures et ne furent jamais destinés à être vus.

 

Dans 46 structures on trouve du grès, ce qui représente prés de 50 % de la totalité des bâtiments répertoriés:( il faut cependant admettre que de nombreuses structures peuvent avoir des fondations cachées comportant cette roche).

 

5.7.2 CALCAIRE

 

Quatre vingt trois structures présentent un appareillage parfait de calcaire et on peut affirmer que tous les bâtiments en comportent. En effet une trentaine de structures ne sont représentés sur le site que par des cassons de calcaire et des massifs de briques crues.

 

Ces calcaires proviennent des couches supérieures des plateaux tabulaires qui dominent la vallée. La plupart des  lits et des couches sont fins, on se retrouve ainsi avec des blocs qui ont souvent moins de 50 cm d'épaisseur(1).Les difficultés de transport de ces blocs qui durent descendre des dénivelés excessivement importants (150 mètres) ont amené les artisans de l'antiquité à structurer la réalisation de ces blocs. Tous dégrossis sur le plateau, ils étaient préparés définitivement  dans la vallée.

 

La dimension et le nombre des carrières  restent importants, plus encore le réseau des voies de circulation qui sillonnent le haut du Jawl.

 

Le calcaire, outre le fait qu'il est une matière constituante des parois construites, représente la majeure partie du concassé de blocage, il est aussi la matière première de la chaux qui compose tous les enduits et mortiers.

 

Il se prête fort bien à la taille de par la qualité et la finesse de son grain et a permis des appareillages très précis à joints secs autant que des ciselures délicates et précises.

 

Du bossage ordinaire, travail non fini, au piquetage le plus fin à la boucharde ou au poiteau, les artisans de l'antiquité purent effectuer toutes les maçonneries les plus délicates. Les blocs possèdent un listel périphérique qui sert  avant tout au réglage des arrêtes et à la définition des nus de parois. Le bossage résultant, quand il n'est pas valorisé comme tel, est alors repris et piqueté. Une fine ciselure renforce le cadre du listel et parfois (structure 53) des éléments décoratifs (coloriage d'un petit carré lisse) amplifient une volonté esthétique ou symbolique.

Les blocs sont travaillés uniquement quand ils sont vus, nous avons là un critère d'évaluation des réemplois éventuels.

 

A Shabwa le calcaire ce sont  aussi les blocs prismatiques (41,72) et les dallages (34, 55,74), on le trouve aussi parfois en fondations.

Les couleurs varient et sa structure diffère: le calcaire gris est compact et correspond aux petits blocs; le calcaire blanc, plus grossier, coquillé, est utilisé pour les grands blocs (85,52) et pour les fondations.

La structure 40, accès au haut lieu, comporte un bloc de calcaire de plus de 15 m3 qui supportait une statue colossale, un autre bloc identique est  en contrebas, au pied des structures 40 et 41.

 

5.7.3 MORTIERS

 

Plus de cinquante structures comportent du mortier ou de l'enduit. Leur variation de couleurs est liée au contact ou non avec des incendies, à leur exposition à des intempéries et aux variations de températures. Ainsi un mortier qui paraît être pulvérulent et de couleur blanche  à l'air libre, se trouve être, dans les zones non excavées, rose beige et très consistant.

 

Nous avons fait procéder à différentes analyses de ces mortiers(1): une analyse d'ordre palynologique, une autre sur la constitution même des composants. Ces analyses révèlent une technicité d'excellente qualité de la part des constructeurs: la fabrication de la chaux est très bien maitrisée et les différents types de mortiers et d'enduits sont parfaitement adaptés à leur destination.

 

Suivant les cas on rencontre des granulats tamisés ou non, indiquant des modes de fabrications plus ou moins rustiques ainsi que des taux de chaux plus ou moins élevés. Ainsi le bassin du château (au nord ouest de la structure 55) a un taux de chaux de 80%, alors que la plupart des enduits et autres mortiers ne dépassent pas 15 %.

 

L'analyse palynologique fait ressortir la constance du phénomène agricole correspondant à un environnement relativement anthropisé. Cette analyse confrontée à l'analyse physicochimique pourra nous aider à l'élaboration de datations relatives mais  actuellement elle ne nous amène à aucune conclusion, et ce de par le faible nombre de prélèvements.

 

On peut affirmer toutefois que:

*les fondations possèdent des mortiers à base de liants d'argile

*les soubassements comportent des murs à blocage interne lié au mortier avec une maçonnerie de parement à joints secs

*les sols des superstructures sont parfois en enduit grossier

*les bassins ont des parois intérieures recouvertes d'un enduit sophistiqué à forte teneur en chaux

*certaines parois de pièces sont enduites avec des matériaux moins soignés que pour les bassins (nous sommes ici peut être en présence de pièces de stockage de céréales (72,74...).

 

5.7.4 LE BOIS

 

Il a toujours été rare, la couverture végétale peu dense est fragile. L'elb, actuellement présent dans l'oasis, est un arbre qui n'offre que des pièces de bois de dimensions modestes, exceptionnellement on en rencontre un de grande taille.

 

Sur le site, outre de grandes pièces calcinées trouvées lors des fouilles du Palais ou Château royal (55), on ne rencontre que des pièces ayant une section inférieure à 15 cm sur 15 cm. Ces pièces taillées, normalisées et régularisées, prêtes à plusieurs réemplois possibles, sont utilisées dans des structures orthogonales tridimensionnelles.

 

Parfois, comme dans le bâtiment 72, on ne rencontre le bois que dans des quantités très limitées, on assiste là à une survivance des anciens modes de chaînage longitudinal.

Le bâtiment 105, affouillé lors des pluies de 1987, nous fourni l'exemple même d'une superstructure à ossature bois non incendiée: des poteaux émergent du sol sur une trame régulière avec une forte densité.

L'incendie de la cité, dans un certain nombre de cas (str 55...),a permis, après disparition des bois ,d'en garder la trace dans les massifs vitrifiés de terre crue de remplissage.

 

5.7.5 BRIQUE CRUE

 

C'est la matière première par excellence, issue du limon de la vallée. Dans le cas des architectures quotidiennes présentes dans les réseaux d'irrigation, ainsi que dans la zone extra-muros, la brique crue est l'unique matériau de construction.

 

On peut ainsi affirmer que la pierre et le bois étaient des matériaux plus "nobles" réservés à des usages et des types de bâtiments bien spécifiques et sans nul doute onéreux. L’emploi de la brique crue, dans ces cas -là, est intimement lié à ces matériaux.

Quand elle est employée dans les parois des superstructures, elle sert de matière de remplissage au sein de l'ossature de bois, elle sert aussi de contreventement longitudinal pour ces murs. Normalisées, les briques crues, de forme légèrement lenticulaire, ont en général des dimensions de 40 x 25 x 6 centimètres; dans certains cas de remplissage verticaux, elles ont un format plus réduit.

 

Les briques composent aussi des massifs de plusieurs mètres d'épaisseur (remparts de Hajar); on les retrouve également dans les alvéoles et comme support des sols en terre battue ou en enduit des premiers niveaux des différentes structures.

 

5.8 LES BLOCS ET LEURS DIMENSIONS

 

Les soubassements isodomes à parements piquetés dans un cadre incisé correspondent sans nul doute aux bâtiments les plus luxueux (113, 55, 89, 44,45...);d'après une inscription in situ, ils dateraient du premier siècle de notre ère. Les bâtiments à blocs diamantaires (41,72...) sont manifestement plus récents.

 

Les soubassements, généralement, sont réguliers, les assises dépendant de l'épaisseur des lits de roche de la carrière d'extraction du Jawl. Les fondations en blocs plus importants d'ordre cyclopéen, manifestent une irrégularité de principe.

 

Il est possible d'affirmer que le soin mis aux appareillages et à la taille dépendait avant tout des moyens mis en œuvre et de la richesse des propriétaires. Il est fort prématuré, dans l'état actuel des études, de vouloir fournir une date d'après une classification des procédés de construction qui ont dû chacun s'échelonner sur plusieurs siècles. L'absence de données épigraphiques suffisamment nombreuses  contribue à cette réserve.

 

Certains sondages (sondage stratigraphique de la structure 41 par exemple, 52, 55,40) ainsi que la comparaison avec le rempart (partiellement daté) peuvent nous donner des indices de datation relative. Ainsi sur les structures 72,73 et 74 nous possédons une superposition de différents procédés de construction. Ces indications passagères ne font pas disparaître les incertitudes générales, et il n'est possible que de parler d'une absolue homogénéité des bâtiments de cette cité.

 

Peut-on se servir des dimensions des blocs mis en œuvre pour apprécier les principes de mesure et les modes de calcul des constructeurs sud-arabes?

 

Deux approches peuvent être faites: la fréquence des mesures et la fréquence des dimensions de blocs (en fait leur répétition). (1)

Nous avons tenté de faire cette approche sur les structures comportant des blocs taillés et appareillés. On peut faire deux constatations: les dimensions 60,40 et 20 centimètres s'imposent avec comme dénominateur commun la mesure de 20 cm; les blocs 40x20x20 sont les plus nombreux et se retrouvent sur un grand nombre de structures.

 

Il faut aussi constater la remarquable homogénéité des gros blocs que l'on trouve sur les structures 6, 7, 3, 4, 89,85. Si les dimensions varient énormément entre les structures, on peut aussi admettre que l'approvisionnement lié aux carrières a été un facteur non négligeable de cette hétérogénéité.

 

 

6. CONCLUSION

 

De nombreuses données épigraphiques, littéraires et architecturales permettent de restituer l'aspect extérieur de ces édifices à soubassement de pierre et superstructure bois que nous trouvons à Shabwa ainsi que sur d'autres sites de la région.

 

La comparaison avec l'habitat traditionnel de certaines régions périphériques du désert (hadramaut, Yashbum...) ou situées dans le bassin  de Sanaa au Nord Yémen permettent de restituer approximativement l'aspect extérieur des édifices antiques.

 

De façon générale ces hautes maisons construites sur des socles aveugles surélevés ont une allure de tour. Elles possèdent en outre des éléments architecturaux susceptibles de renforcer leurs capacités défensives: une citerne à leur pied, un accès unique, un premier niveau à petites ouvertures et consacré au stockage... Il est vraisemblable que cette fonction défensive détermine en grande partie l'aspect extérieur de ces maisons pendant toute l'histoire sudarabique.

 

Si les bâtiments étudiés sont sans nul doute contemporain du dernier état de la ville, il paraît malgré tout très malaisé de classer les soubassements d'après leur type d'appareillage ou de parements. La nature des matériaux employés, leur répartition, ne sont pas suffisant pour aborder une chronologie même partielle. On peut toujours penser, en confrontant l'étude des bâtiments à celle des sondages stratigraphiques, que les soubassements de pierre ne peuvent être attribués au Vème siècle avant notre ère, mais l'image de la ville à chacune des époques nous paraît encore bien imprécise.

 

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